Par delà le bien et le mal.

Un concept dont les conséquences sont bien réelles

La moralité renvoie à une série de règles et de normes partagées par un corps social et qui souvent tendent à être considéré comme absolu par celui-ci. Une des conséquences de cette croyance est l’incapacité à raisonner sereinement et à envisager le point de vue de l’autre. L’altérité synonyme de diversité devient synonyme de destruction, l’absolu modèle moral ne saurait souffrir l’affront de la différence. Ces désastreux mécanismes sévissent chaque jour sur cette planète, des idéologues intégristes, dans l’économie, la politique, la religion, impose leur vision aux autres parce que la leur est sanctifiée par la morale. Mais jamais ceux-ci ne se demandent si effectivement il y a absolu, leur moralité n’est peut-être qu’issue d’un contexte historique, ou encore plus simplement d’un contexte émotionnel.

Quand l’approche matérialiste remplace la théologie

Ces dernières années, de nombreuses recherches se sont intéressées au lien entre la morale et le contexte. Ces études pointent la relation causale entre état émotionnel et jugement de valeur morale. En 2010, Spike Lee (pas le réalisateur…) et Norbert Schwarz ont monté une expérience où des sujets participaient à un jeu de rôles impliquant le mensonge. Des participants mentaient soit via leur bouche (message vocal) soit via leurs mains (rédaction d’e-mail). Durant la seconde partie du protocole expérimentale, ils effectuaient une enquête de consommateur, où ils devaient noter des produits nettoyants pour la bouche et les mains. Ceux qui avaient dû mentir via leur bouche affichaient une préférence pour les produits destinés à l’hygiène buccale et ceux qui avaient dû mentir via leurs mains préféraient les savons pour les mains. Les chercheurs en conclunt que pour les participants, mentir revenait à la sensation de se salir, amenant un désir de se purifier. La purification sanitaire venait se mêler à l’idée de purification morale, idée qu’on trouve dans diverses religions (purification rituelle, baptêmes, etc.). La connectivité entre le concept de moral et les sensations ne se limite pas là. Dans une autre expérience en 2011, Kendall Eskine, Natalie Kacinik et Jesse Prinz, montrèrent qu’il était possible d’influer sur un jugement moral après avoir induit une sensation. En donnant différents types de boissons, amer, sucrée et neutre (contrôle), on incite des participants à émettre des jugements moraux relatif à leur « dégustation », jugements plus fermes si la boisson est amer que lorsqu’on a bu du jus de fruit ou de l’eau.

Un des aspects inhérents à une connexion, c’est qu’elle peut s’effectuer dans les deux sens. A partir des données collectées dans l’étude pré-évoquée, les mêmes Eskine et Kacinik vont l’année suivante tester si cette fois, un jugement moral pouvait influer sur la sensation gustative. 60 personnes furent dispatchées par groupes de 20, au sein desquels ils devaient regarder des vignettes dépeignant soit des actes de transgressions, de vertus ou neutres. Pour vérifier si les vignettes étaient interprétées dans le sens désiré, les participants étaient amené à noter leur contenu sur une échelle allant d‘extrêmement immoral à extrêmement moral. Après cela, les ils devaient boire une solution au goût neutre (une boisson énergétique particulièrement diluée) et indiquer sur trois échelles leur sensation à l’égard de la boisson. L’une notant l’appréciation du goût (de très dégoûtant à très délicieux), les deux autres sur le sucré et l’amertume.

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Effets du jugement moral sur la perception du gout des boissons. Avec en abscisse les 3 types de vignettes. En ordonnée la perception du gout, de 0 très dégoutant à 100 très délicieux.

Les vignettes eurent l’effet escompté, elles étaient effectivement considérées selon les modalités expérimentales voulues. Plus que cela, elles ont induit une différence significative de perception du goût, la vertu améliorant le goût de la boisson à l’inverse de la transgression. L’analyse statistique portant sur le caractère amer et sucré de la boisson ne révéla aucune différence significative, c’est donc la notion de dégoût, non d’amertume qui serait liée à la transgression morale.

Vers une morale comme processus dans un corps/esprit unifié

Toutes ces études remettent en cause une morale absolu, qui agirait sur les sociétés comme les fondations solides d’un édifice. Il semblerait au contraire, que l’édifice soit branlant ou qu’il faille tout du moins aborder la question de la morale sur un plan plus fluctuant. La vision des tablettes gravées dans le Sinaï, ou plus simplement des livres Saints, a véhiculé cette idée d’immuable, d’inaltérable, qui continue à s’exprimer dans la notion de loi encore à notre époque moderne. Mais c’est plutôt un contexte et un processus qui explique nos jugements de valeurs, contexte intimement lié à nos affects corporels. Établir un cadre sérieux de compréhension du concept de moral passe par une remise en cause de son caractère transcendant, mais aussi du dualisme qui, en établissant une différenciation entre le corps et l’esprit, nous fait oublier que le corps reste le point de départ de tous les concepts.

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