Aujourd’hui, je vais vous présenter une théorie intéressante, qui colle assez au cadre générique de ce blog. En 2011, Lane Beckes er James A.Coan de l’Université de Virginie, présentent la « Théorie de la Base Sociale » (Social Baseline Theory), d’après celle-ci, l’espèce humaine a pour environnement primordial, ses propres congénères.
L’humanité est parvenue à s’installer dans le monde entier, les pôles, les déserts, les hautes montagnes, les forêts tropicales et même pour de très courtes périodes, dans les fonds marins et l’espace. Une des constantes les plus marquées de notre survie, c’est la présence de nos congénères. D’ailleurs, diverses données scientifiques montrent que l’homme correctement socialisé bénéficie d’un meilleur état de santé et a un comportement plus apaisé (Simpson & al., 2003 ; Holt-Lunstad & al., 2010). Comme « l’effet régénérant » d’une promenade dans un environnement naturel, que j’évoquais dans un article précédent ; l’appartenance à un réseau social stable, familier, où les membres interdépendants partagent certains buts et centres intérêts, aurait pour effet de « restaurer » à un niveau basal notre activité cérébrale et d’éviter la surconsommation énergétique.
Intuitivement, nous sommes amenés à penser qu’il est préférable d’appartenir à un réseau social de qualité, c’est l’assurance de pouvoir compter sur les compétences d’autrui, de partager les tâches de travail, s’enrichir des spécificités des uns et des autres. Ce qui a permis l’émergence de la TBS ce sont les données expérimentales confirmant ces intuitions. Ainsi, dans leurs propres travaux (Coan, Schaefer & Davidson, 2006) et ceux d’autres chercheurs (Eisenberger & al., 2007), on remarqua que les réseaux de neurones impliqués dans la régulation des émotions étaient moins activés lorsqu’il y a soutien social et plus actif lorsque ce soutien était moins important.
Pour illustrer simplement tout ça, il m’est venu à l’esprit une comparaison. Les humains, comme les neurones, vivent en communiquant sans cesse avec leur entourage, lorsque son entourage est proche, il suffit de parler pour être entendu. En revanche, plus les personnes sont isolées plus elles doivent hurler pour espérer avoir une réponse. Or, crier est beaucoup plus énergivore que de parler sur son ton de base.
La TBS s’inscrit donc dans le principe d’économie de l’action, qui amène les êtres vivants à moins dépenser d’énergie qu’il n’en consomme (Proffitt, 2006). Selon le même Proffitt, le cerveau organise le système perceptif avec l’impératif d’économiser de l’énergie. Stefannuci & al. (2005) ont d’ailleurs montré que porter un lourd sac à dos donne l’impression d’allonger les distances et ‘augmenter l’inclinaison des pentes, tout ce passe comme-ci des processus automatiques se projettent dans l’avenir et calculent les conséquences énergétiques de nos actions, biaisant notre jugement. Un peu comme lorsque l’on peste en s’évoquant les différentes étapes d’un gros projet (rédaction d’un mémoire, tournage d’un film, bouclage d’un dossier client, etc.) et qu’au final, on en vient à déléguer ou à ne rien faire, pour préserver notre si précieuse énergie.
En 2014, une étude d’Henriksen, Torsheim et Thuen de l’Université de Bergen en Norvège vient apporter encore plus de crédit à cette théorie.
En partant de la TBS, l’équipe de chercheurs fit l’hypothèse d’une consommation de sucre relative au sentiment de solitude et au niveau d’intégration sociale. En tenant compte de différents biais, comme l’indice de masse corporel, l’estimation personnelle de son poids, le niveau éducatif, l’activité sportive, l’âge, le revenu, les chercheurs ont réussi à établir un lien entre la consommation de boissons sucrées et le niveau de bien-être et d’intégration sociale de femmes enceintes. Ainsi, plus les femmes se percevaient comme seules et peu satisfaites dans leurs interactions sociales, plus celles-ci consommaient de boissons sucrées. A l’inverse, plus celles-ci étaient satisfaites, moins elles consommaient de boissons sucrées.
Si d’autres expériences venaient à renforcer la Théorie de la Base Sociale, il serait intéressant de tirer toutes les conclusions qu’impliquent ce cadre théorique.
1er constat l’absurdité, pour ne pas dire autre chose, du paradigme économico-culturel actuel, qui incite à toujours plus. Plus de croissance, plus d’heures de travail, plus d’années de travail, plus de consommation, plus de crédit, plus de dettes, etc. Vous m’aurez compris…
Le productivisme, qui n’est et très probablement sera, qu’une parenthèse dans l’histoire de l’humanité s’inscrit dans la négation totale de ce que l’outil scientifique semble nous apprendre sur nous-même et sur le vivant en général. L’émergence de la société de l’excès et du gaspillage, c’est l’indice qui dévoile le caractère cancéreux et éphémère du paradigme actuel.
2e constat la possible compréhension des mécanismes qui font émerger de plus en plus d’individus isolés socialement et en mauvaise santé. Dans un cadre général prônant l’individualisme (salaire individuel, concurrence, destruction des structures de solidarités et de services publics), les êtres désocialisés consomment allégrement, car leurs besoins énergétiques sont plus importants, ils ne peuvent se reposer sur les autres, utiliser la puissance du réseau humain, réseau qui à l’origine constitue l’un des éléments de base de leur environnement naturel.
3e constat la démotivation. Une part non négligeable de la population est juste apathique à l’idée d’agir, que cela soit pour réaliser un projet, s’impliquer politiquement, dans des relations et j’en passe, une espèce de voix lancinante prononçant continuellement « à quoi bon » semble servir de bruit de fond. Peut-être que cette incapacité à agir tient du fait qu’empêtré dans la solitude et de faibles réseaux sociaux, l’estimation du coût énergétique de nos actions s’emballe. Pour reprendre l’étude sur les sacs à dos, l’individu isolé à l’impression qu’il va hériter d’une charge digne d’Atlas.
4e constat, fort de ces connaissances, une pensée générale de l’écologie et de l’efficacité énergétique devrait s’inscrire dans une politique sociale faisant la promotion d’un tissu social fort, facilitant la création de liens durables entre les individus (promotion du travail en groupe notamment à l’école, structure syndicale, vie de quartier, etc.)